Il convient à titre liminaire d’effectuer une distinction essentielle. Le beau jeu est à distinguer du fait de bien jouer. Le premier implique la notion de spectacle alors que le deuxième renvoie davantage à la maîtrise.

Il existe de nombreuses manières de bien jouer au football. Toutefois, quel que soit le style de jeu adopté, la maîtrise demeure la condition sine qua non afin de pouvoir vaincre l’adversaire. Le fait de bien jouer – donc de réciter un plan de jeu – n’assure pas la victoire, mais il en augmente les probabilités.

Le 29 novembre 2009, suite à la défaite du Real Madrid au Camp Nou (1-0), un supporter que nous avions croisé dans les rues de Madrid avait lancé : « Le Real Madrid a perdu, mais il a bien joué« . A cette période, eu égard aux attentes envers l’équipe, à la qualité de l’adversaire affronté et à la performance des hommes de Pellegrini, nous ne pouvions qu’être en accord avec lui.

Le supporter en question aurait-il tenu le même discours si le Real Madrid n’avait pas subi une lourde défaite au Bernabéu face au Barça de Guardiola presque six mois auparavant ? Le tiendrait-t-on aujourd’hui si le Real Madrid subissait une défaite similaire contre une équipe avec un niveau identique au Barça de Pep, compte tenu de la dimension prise par la Casa Blanca depuis le retour de Pérez ?

Nous nous permettons d’en douter. Pour les amoureux du ballon rond, considérer qu’une équipe « joue bien » n’est pas forcément uniquement tributaire des résultats. Cela dépend également du degré de maîtrise que l’équipe affiche, en fonction des joueurs dont elle dispose et du niveau de l’adversité.

En ce qui concerne le beau jeu, nous l’estimons intimement lié au spectacle. Même si cette dernière notion est très subjective et que les exemples d’actions spectaculaires dans le football sont diverses et variées, elles ont toutes un dénominateur commun : l’émotion et l’enthousiasme qu’elles suscitent.

Il est possible de bien jouer tout en étant spectaculaire. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est également possible d’effectuer des actions spectaculaires tout en jouant mal. En effet, le Real Madrid de Capello durant la saison 2006-07 est l’un de ceux qui a affiché le moins de maîtrise dans l’histoire récente du Real Madrid. Toutefois, il est parvenu à produire des actions spectaculaires. Parmi celles-ci, le but inscrit par Raúl lors du premier Clásico de la saison ou celui inscrit par Van Nistelrooy face à Valence.

Le Real Madrid durant la saison 2011-12 (Getty Images).

Le beau jeu et le fait de bien jouer plus importants que la victoire ?

Certaines personnes considèrent que le fait de bien jouer ou de produire du beau jeu sont des facteurs autant voir plus prépondérants que le victoire. Ainsi, en avril 2022, Xavi, ex-entraîneur du FC Barcelone, avait déclaré : « Au Barça, nous avons l’obligation de gagner en jouant bien« . Il y a une quinzaine d’années, un supporter du Barça nous avait déclaré que :

« La Quinta del Buitre n’a pas remporté de Ligue des Champions mais tout le monde se souvient d’elle. Ce n’est pas le cas du Real Madrid d’Anelka, en dépit du fait qu’il a remporté le titre européen suprême »

L’essence de ce postulat réside dans le fait que le style de jeu d’une équipe serait plus susceptible de rester dans la mémoire collective que les trophées qu’elle a remportés. Toutefois, même s’il convient de le respecter, nous estimons que ledit postulat ne peut pas être considéré comme universel.

Le Real Madrid entraîné par Manuel Pellegrini était l’un des plus plaisants à voir jouer de l’histoire récente du Real Madrid. Est-ce pour autant qu’il a marqué les esprits ? Tant s’en faut. Le style de jeu demeure insuffisant pour marquer durablement les esprits. Il doit être validé par des trophées. Qui se souviendrait de l’Arsenal d’Arsène Wenger s’il n’avait pas remporté la Premier League ?

Les équipes du Real Madrid entraînées par Schuster et Mourinho offraient un jeu un plaisant dans des styles différents. Mais sous l’entraîneur allemand, les Madrilènes ont remporté la Liga avec 8 points d’avance sur leur dauphin Villarreal et 18 sur le Barça (3ème). Cela a fortement marqué les esprits. Il en est de même en ce qui concerne la Liga conquise sous Mourinho avec 100 points totaux. Le Real Madrid d’Ancelotti durant la saison 2014-15 a proposé un jeu spectaculaire. Cependant, peu de supporters se souviennent du jeu en question hormis les supporters du Real Madrid.

A quelques exceptions près, le Real Madrid entraîné par Zidane (lors de ses deux périodes) et celui par Ancelotti lors de sa deuxième étape n’ont globalement pas été spectaculaires. En revanche, ils ont démontré une grande maîtrise. Il est tout bonnement impossible de remporter 5 Ligue des champions sur les neuf dernières saisons sans maîtrise. Que le style de jeu proposé par les équipes des deux entraîneurs précités ait plu ou pas, il est indéniable que leur niveau, lui, était très élevé.

Finalement, si ces deux équipes ne se sont pas forcément distinguées par la beauté de leur football, elle l’ont fait par la beauté de leurs victoires, notamment au niveau européen. Dans le football, la beauté n’est pas circonscrite au jeu. La difficulté des équipes affrontées ainsi que les scénarios ayant amené ces équipes à remporter la Coupe aux grandes oreilles ont subjugué, outre les supporters madrilènes, de nombreux observateurs du football.

Le Real Madrid n’est donc pas l’antithèse du beau, que ce soit en terme de jeu proposé ou au niveau des trophées qu’il a remporté. Nous concédons tout au plus qu’il n’est pas toujours parvenu à conjuguer les deux. Est-ce si grave, après tout ?

Beau

Gjon Haskaj.